Quelques mises au point avec Maloniel et les Téméraires.Arnaud, si quelque chose te dérange au niveau des PNJ, n'hésites pas à me le signaler et je ferai les changements nécessaires.
L’air était frais et vivifiant à cette hauteur et avec la vitesse du navire. La nuit allait bientôt tomber. L’astre diurne entamait sa disparition derrière l’horizon, colorant de rose et d’orange les quelques nuages qui moutonnaient dans le ciel.
J’étais à l’avant du pont et je faisais face à Maloniel. La jeune voleuse faisait peine à voir avec ses loques d’esclaves et ses multiples bandages. Son corps amaigri et les stigmates de fatigue et de souffrance sur son visage attestaient que l’hospitalité des esclavagistes thérans méritait quelques réserves. Mais son regard était clair, déterminé et chargé de quelque chose qu’elle réfrénait sans parvenir à le dissimuler. Elle était amoureuse.
La voir parmi ce petit groupe de sauvetage m’étonnait encore. Nous avions partagé des moments délicieux, mais je l’avais ignoré puis j’avais mis fin brusquement à notre histoire. À cause de Miraëlan. Ou plutôt à cause de ce que je craignais que Miraëlan puisse lui faire. J’étais sans doute un piètre questeur d’Astendar, mais pas au point de ne pas comprendre que ma Passion d’adoption était derrière la volte-face sentimentale de Maloniel.
« Bien, à nous deux, ma belle… déclarai-je à voix douce.
La jeune femme ne répondit rien. Elle me laissait lancer la conversation tout en vrillant son regard au mien.
- Je dois avouer que je suis surpris de ta présence. Mais c’est une surprise des plus agréables, ajoutai-je. Comment se fait-il que tu sois là ?
- J’étais sur la route de tes amis et ils ont demandé mon aide, répondit-elle lentement et presque à contrecœur.
- Et tu es venue en personne ? Tu as risqué ta vie dans cette tentative insensée ?
- Ouais… bon, ça avait l’air moins débile depuis l’extérieur, éluda-t-elle. Et aucune de tes copines elfes n’était disponible pour venir à ton aide, alors je me suis dévouée, ajouta-t-elle avec plus de vigueur.
- C’est sûr que… mes copines elfes… sont loin et ont sans doute mieux à faire que voler à mon secours, répondis-je avec hésitation et sans pouvoir empêcher une pointe de dépit de percer dans ma voix.
- Toutes tes histoires ne m’ont pas l’air bien sérieux. Je me trompe ?
- Disons que c’est assez compliqué et que nos routes sont rarement parallèles, répondis-je. Mais aujourd’hui, c’est toi qui es là.
- Valérian, reprit-elle sans chercher à contenir l’émotion qui perçait dans sa voix, nous allons où comme ça ?
- à Tevelan, le village où j’ai grandis.
- Non… je parlais de nous…
- Ah… Je vais être franc, je n’en sais rien. Je sais que je t’aime et que je t’ai toujours aimé. Mais je sais que ma vie ne m’appartient pas vraiment et que j’ai ma quête à mener. Il s’agit d’une chose plus importante que ma petite existence et mes petites envies… et même que mes grandes envies. J’accueille toutes et tous ceux qui m’aideront en cela, mais je ne pourrai pas m’arrêter ni faire de promesse.
- Je vois… je peux t’accompagner mais c’est à mes risques et périls et je ne peux pas attendre d’exclusivité dans ton cœur ?
- Non, en effet. Tu y as une place d’honneur, mais je refuse désormais de refaire l’erreur que j’ai déjà faite avec toi.
- C’est-à-dire ?
- Te dire que c’était fini entre nous. Faire le ménage sentimental autour de moi. Je dois courir partout, affronter toutes sortes de monstres, mettre ma vie en danger et renoncer à beaucoup de choses. En revanche, je ne vois aucune raison de refuser toute opportunité d’amour ou d’amitié quand elle se présente. Il me faut des compensations pour tous les coups que je prends et que je prendrai encore, physiquement et moralement.
- Donc… je suis une compensation ?
Elle s’était légèrement reculée et fronçait les sourcils.
- Désolé, le terme n’est sans doute pas approprié. Les bienfaits d’Astendar sont ce qui me pousse en avant, ce qui me permet de supporter tout le reste : les blessures, les déceptions, les séparations, les amis morts. Je prendrai chaque amour qui se présente et je le vivrai à fond, qu’il dure une nuit ou des mois.
- Mouais… si je comprends bien, si je t’accompagne ça vaut dire que j’accepte de partager ?
- Pas forcément. Jusqu’à ce que Miraëlan n’arrive dans ma vie, nous nous voyions de temps à autre et aucun d’entre nous ne se préoccupait de ce que faisait l’autre entretemps ni qui il aimait. Tu peux m’accompagner mais je pense qu’à un moment ou à un autre, tu auras une bonne raison de partir. Peut-être qu’une autre prendra ta place à ce moment-là, ou pas. Je ne sais pas et je ne suis pas certain d’avoir grand contrôle là-dessus. Je suis ce que je suis.
- Hm… je ne suis pas certaine d’apprécier tout cela, mais cela a le mérite d’être clair. Cette fois, je sais dans quoi je mets les pieds, répondit-elle.
- … et le reste aussi j’espère, ajoutai-je avec un petit sourire.
- Pourquoi ? Tu ne les aimes pas mes pieds ? répliqua-t-elle avec un énervement démenti par son regard pétillant.
- Si, j’adore tes pieds, mais pas seulement… »
Nous échangeâmes un nouveau baiser passionné. Je m’écartai à regret de la jeune voleuse.
« Bon, tu nous trouves un endroit pour dormir, Malo ? Je te rejoins dans quelques instants. Le temps pour moi d’aller m’occuper des blessures de nos amis, puis d’aller discuter avec mes anciens amis des Téméraires. »
Elle fronça à nouveau des sourcils mais n’ajouta rien.
Après avoir prodigué des soins à Ghorghor et Pelenas qui en avaient bien besoin, je me dirigeai enfin vers l’arrière du navire. J’y avais aperçu les Téméraires et il était temps d’avoir une petite conversation car, eux aussi, devaient se poser des questions à mon sujet.
À mon approche, les visages se tournèrent ma direction. Kia’Santh resta neutre, Valériane se renfrogna légèrement et Tirell s’avança d’un pas avec un franc sourire.
« Aloysius ! Enfin ! Nous t’attendions avec impatience, attaqua-t-il avec emphase. Il y a certaines choses que nous ne comprenons pas et je pense que tu vas pouvoir nous éclairer en bon éclaireur que tu es.
Je souris au bon mot et levai la main en signe d’apaisement avant qu’il ne parte dans une autre tirade ou que Valériane ne s’y mette à son tour car elle semblait plutôt tendue.
- Un instant, mes amis. Je vais répondre à vos questions. Mais j’ai une précision préliminaire à faire. Je vous prie de cesser de m’appeler Aloysius car ce n’est plus mon nom.
- Et tu veux que l’on t’appelle comment ? questionna l’archer humain sans masquer son étonnement.
- Valérian, répondis-je fermement.
- Putain ! C’étaient pas des conneries ! s’enflamma Valériane. Ce petit salaud m’a piqué mon nom !
- Hum ! Je ne t’ai rien piqué puisque tu l’as toujours, non ? répondis-je en essayant de conserver un ton neutre.
- Vas falloir t’expliquer là-dessus, mon gars, intervint Kia’Santh sans manifester d’émotion particulière.
- Je suis là pour ça. Je ne reviendrai pas sur les circonstances de mon départ de la compagnie. Je ne pouvais supporter ce que j’avais fait et je pensais Valériane morte à cause de mes conneries…
- C’est pas passé loin ! grommela l’intéressée.
- Cette énième idiotie fut celle qui me permit de grandir.
- Pas trop tôt ! commenta l’éclaireuse.
- Je décidai de prendre mes responsabilités et de devenir un éclaireur digne de ce nom et d’éviter les dérapages, poursuivis-je en ignorant les piques de Valériane.
- Sacré boulot en perspective, continua-t-elle.
- Val… arrêtes ! intervint Tirell.
- Tu n’as pas tort. Ça n’a pas été facile au début. Mais c’est pour cela que j’ai changé de nom, pour changer de personnalité en même temps et laisser mon passé derrière moi, et pas en moi comme un boulet qui entravait chacune de mes ambitions. Plus je m’éloignais d’Aloysius, plus je devenais Valérian. Quelqu’un de plus responsable et de plus ouvert sur les autres.
- Tu vas me faire croire que changer de nom a suffi ? intervint l’éclaireuse avec hargne.
- En grande partie, oui. Nous sommes des donneurs-de-nom. Notre nom est lié à notre trame et à l’accès que nous avons à la magie. En changeant de nom, je perdais les pouvoirs d’Aloysius au même rythme que je créais ceux de Valérian.
- Eh ben… ça n’a pas dû être facile ton truc, commenta Tirell avec un certain effarement.
- C’était plus long que difficile. J’ai dû tout réapprendre ce que je savais en tant qu’adepte. C’était un peu comme récrire un livre mais sans utiliser les mêmes mots, avec ceux de Valérian au lieu de ceux d’Aloysius.
- Et au final, ça change quoi ? intervint l’éclaireuse avec un ton qui contenait désormais autant de curiosité que de ressentiment.
- Des années plus tard, cela donne quelqu’un de totalement différent.
- Mais tu te souviens tout de même de nous, non ? interrogea l’archer humain.
- Bien sûr ! Mais c’est assez loin, flou, et beaucoup de choses me sont arrivées depuis. Et j’ai désormais la personnalité de Valérian qui est un… filtre à tout ce qu’a vécu l’autre.
- Tu fais vraiment partie des Lions de Pierre de Brindol ? demanda Kia’Santh.
C’était sa première intervention et elle n’était visiblement pas dans le même registre que les deux autres.
- En effet. L’un des rares qui reste du groupe initial.
- On n’a pas mal entendu parler de vous. Si tu as vraiment accompli la moitié des trucs qu’on prétend, tu n’as effectivement plus rien à voir avec le gamin sympa qu’on trimballait avec nous. Si Kessaëlir te met la main dessus, il ne va plus te lâcher, poursuivit-elle avec un petit sourire.
- Ah… Kessaëlir, il va bien ?
- Oh oui !
- Et Dungorn ? et Alcanthar ?
- Ils vont bien aussi. Il y avait une autre petite mission en cours et tout le monde n’a pas pu être là. Par ailleurs, Alcanthar était modérément motivé pour venir t’aider, répondit la maîtresse d’armes.
- J’imagine sans peine…
- Si j’ai bien compris, pour résumer, intervint Valériane, tu es dans le corps d’Aloysius et tu as ses souvenirs, mais tu n’es pas lui.
- Quelque chose comme ça, admis-je en la fixant du regard. Lui était follement amoureux de toi – sans doute plus fou qu’amoureux d’ailleurs ! – mais ce n’est pas mon cas. Mais j’espère qu’on sera amis, ajoutai-je avec mon plus beau sourire.
Le regard de l’éclaireuse vacilla un instant sous ma tirade un brin provocante, mais elle reprit vite contenance. Elle n’avait pas perdu de son aplomb.
- Je vois… répondit-elle lentement sur un ton tout aussi neutre que son regard.
- D’autres questions ?
- Là, si j’ai bien compris, on va à Tavelan pour empêcher les troupes envoyées par Hefera de raser ton village ? demanda Tirell.
- C’est ça.
- Et après ?
- Après ? Après chacun fait ce qu’il à faire de son côté et je vous retrouve à Grand-foire quand j’arrive à trouver un diplomate pour Gendel.
- Dommage, c’est con de se séparer aussi vite alors qu’on a plein de chose à se raconter, déplora l’archer.
- Je sais, mais rester à discuter de mes aventures et du bon temps est un luxe que je ne peux pas me permettre, répondis-je en laissant passer un peu de regret.
- Les Lions de Pierre repartent à l’aventure, commenta la t’skrang.
- C’est tout à fait cela. Je remercie des thérans de m’avoir offert l’hospitalité quelques semaines, mais il est temps de repartir parce que j’ai du travail, ajoutai-je avec un petit sourire.
- Ben voyons ! Maintenant, tu te prends pour le sauveur du monde, grogna Valériane.
- Le monde ? Non, juste Barsaive, ma chère ! Chaque chose en son temps. »
Tirell et Kia’Santh s’esclaffèrent. Pas Valériane. Elle semblait ne pas digérer la disparition d’Aloysius.
- J’aime pas trop cette idée d’un type qui prend la place d’un autre, grogna l’éclaireuse.
- Tu sais, à partir du moment où j’ai appris que tu étais encore en vie par Maloniel, je me suis parfois demandé ce que serait notre prochaine rencontre. Je pensais qu’elle serait plus tendue et que tu m’en voudrais pour ce qui c’était passé.
Valériane prit le temps de quelques secondes pour réfléchir.
- Je pense que si j’avais mis la main sur ce petit con d’Aloysius, je lui aurais fait passer le goût de l’alcool et des conneries… et je l’aurai gardé dans l’équipe.
- Vraiment ? Je ne te pensais pas aussi clémente, m’étonnai-je.
- C’est par sa faute que je me suis faite planter de dos. Mais c’est aussi grâce à lui qu’aucun adversaire n’a pu terminer le travail. Une semaine plus tard, ma blessure n’était plus qu’un souvenir mais Aloysius avant définitivement disparu et il manquait à tout le monde, reprit l’éclaireuse.
- Y compris Alcanthar ?
- Il manquait presque à tout le monde, corrigea l’humaine avec un petit sourire.
- Donc tu lui as pardonné ?
- Bien sûr…
- Tant mieux, parce que lui ne se l’est jamais pardonné et sans cela je ne serai peut-être pas là.
- Et lui serait toujours là, commenta Valériane pour montrer où allait sa préférence.
- En effet, mais je doute qu’il aurait survécu longtemps et accompli la moitié de ce que j’ai fait avec les Lions de Pierre.
- Cela, nous ne le saurons jamais puisque tu as pris sa place, répondit lentement l’éclaireuse.
- En effet. Mais j’aimerais que tu ne me voies pas comme un parasite qui a remplacé ton ami. Si j’existe, c’est à sa demande.
- Mais peut-être souhaite-t-il revenir ? Est-ce que tu serais prêt à t’effacer et à lui rendre son corps ? questionna-t-elle avec pertinence.
- Non car j’ai des choses trop importantes à accomplir pour prendre en compte les aspirations – aussi légitime soient-elles – de mon… disons "petit frère". »
Les deux autres avaient laissé l’échange se dérouler, sentant bien le côté personnel de la conversation. Kia’Santh, constatant l’humeur sombre de Valériane, décida d’intervenir.
- J’aurais tendance à aller dans le sens de… Valérian… compte tenu de ce que nous avons entendu sur toi. Aloysius est parti et il a peut-être pris une décision courageuse et sensée en décidant de changer aussi radicalement. Je pense qu’il faut se faire à l’idée que c’est définitif. Le papillon ne peut pas avoir envie de retourner dans sa chrysalide pour redevenir une chenille. Donc, bienvenue à Valérian et j’espère que nous ferons du bon travail ensemble, ajouta la maîtresse d’armes en me tendant la main.
Nous échangeâmes une poignée de main ferme et je lui adressai un remerciement des yeux.
- Hum… je crois que c’est la première fois que l’on me compare à un papillon, mais la métaphore est plutôt bien vue. »
Je me tournai vers Tirell et lui tendis la main également, il la prit pour me tirer vers lui et nous échangeâmes une étreinte de vieux amis. Tirell était resté le bon gars simple, direct et amical dont je gardais le souvenir. Il était facile de redevenir ami avec lui.
Je lâchai l’archer pour pivoter vers Valériane. Son regard était toujours d’une neutralité de mauvais augure. Elle avait toujours su jouer de son regard, en y faisant passer le sentiment qu’elle souhaitait ou, au contraire, déstabiliser son interlocuteur par l’absence de toute émotion.
Je lui tendis la main sans cesser de croise son regard.
Elle contempla ma main le temps de trois secondes, ignora mon geste et m’envoya sa tirade :
« Pour le moment, je ne te connais pas. On verra à l’usage si j’ai envie de te serrer la main ou le cou. »
Puis elle se détourna et déclara qu’elle allait se coucher.
Je saluai Tirell et Kia’Santh puis repartis là où j’espérai trouver Maloniel. La réaction de Valériane et ses bonnes dispositions envers Aloysius ne manquaient pas de m’étonner. Elle aurait dû le détester et elle semblait plutôt le regretter. Avait-elle été plus attachée à Aloysius que je ne le pensais ? Dans mon souvenir, Valériane avait à peine toléré les facéties d’Aloysius. Peut-être les avaient-elles appréciées secrètement ? J’avais commencé mes chroniques quelques années après mon départ précipité des chez les Téméraires et les souvenirs d’Aloysius étaient peut-être déjà faussés. Quoi qu’il en soit, cela ne changeait pas grand-chose. Aloysius n’était plus là et je ne verrai sans doute que rarement Valériane, donc il n’était nul besoin de me faire des nœuds au cerveau avec ça. J’avais bien d’autres sujets de réflexion autrement plus conséquents.
Je rejoignis la jeune voleuse qui m’accueillit par un sourire fatigué. Je déroulai mon sac de couchage à côté du sien et m’y engouffrai.[size=12] La fatigue et les privations de ces derniers jours eurent raison de mes préoccupations et je m’endormis rapidement, Maloniel dans mes bras.
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